Énergie sombre

Je profite de mes vacances pour errer vers le lointain sud : jusqu’au marais de Chalmessin. Le guide, l’excellent Romaric Leconte, y a évoqué l’étrange affaire qui associe une fleur bleue, un papillon et une fourmi. Je vous résume les faits : le papillon ne pond QUE sur cette gentiane, laquelle ne pousse presque qu’ici. Et la chenille du papillon se fait nourrir par une fourmi particulière, sans laquelle elle ne deviendra jamais papillon et ne pourra pas pondre sur la gentiane. Bref, pour que ça fonctionne très bien à condition que chacun soit là : il faut la fleur ET la fourmi ET le papillon. Chacun est très différent des deux autres. Et pourtant, ici, en Haute-Marne, ils ont créé une incroyable relation à trois. Un peu comme si Saint-Dizier, Chaumont et Langres travaillaient ensemble au profit de chacune.

De cette semaine en Haute-Marne, je retiendrai la mort d’un réfugié a priori sous les coups de couteau d’un autre réfugié. Le réel réécrit Les Misérables. Comment ses deux parcours de misère ont-ils pu ainsi se percuter à des milliers de kilomètres des bases de l’un et de l’autre ? L’un vient d’Afghanistan. Il a tout quitté pour l’illusion du bonheur à l’occidentale. Il a trouvé la mort. Quelle sombre énergie a armé le bras de l’autre ? Il a tout quitté ; il va croupir en prison pendant des années. Vous avez remarqué : personne ne les a nommés par leur nom. On a dit : « les réfugiés », « les demandeurs d’asile », les « migrants ». Il y avait les sans-dents, voilà que surgissent les sans-noms. Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Traditionnellement, chaque été, je sors nuitamment dans le dessein d’observer le ciel profond. Je vous l’ai déjà confié ici : contempler le firmament par une nuit sans lune et sans nuage relève de l’expérience initiatique si tant est qu’une personne compétente éclaire votre errance magnifique.

En France, il s’avère très mal aisé de trouver une contrée éloignée des lumières polluantes d’une grande ville ; sauf chez nous…

Si vous levez le nez et accoutumez durant quelques instants complices votre regard à l’obscurité, vous verrez des objets célestes. Ils présentent une particularité : les Chinois, les Russes, les Américains, et les Haut-Marnais, en fait tout habitant de l’hémisphère nord, voient la même chose. Nous sommes des centaines de millions à avoir cela en partage.

Nous partageons une autre caractéristique à l’heure où Black Lives Matter réveille les consciences des jeunes en ce bas monde : entre 0,1 et 4 % de notre ADN vient d’une autre race, d’une autre VRAIE race : homo neandertalensis. Jadis, donc, des races au sens juste du terme, VRAIMENT différentes, se rapprochaient charnellement. C’était il y a 30 000 ans, à une époque tellement lointaine qu’on n’est même pas certain aujourd’hui que Bruno Sido et Charles Guené étaient ou pas déjà élus sénateurs. C’est vous dire ! Nous sommes tous leurs héritiers (je ne parle plus de Bruno Sido et Charles Guené, essayez de suivre !).

Troisième enseignement de mes échappées nocturnes : le doute. Les Haut-Marnais vivent sur une minuscule planète qui évolue au sein d’un univers peut-être infini rempli à 68 % d’une énergie sombre dont on ne sait rien*. Alors lorsqu’un sachant nous assène ses certitudes sur la radioactivité, dans un sens ou dans l’autre, restons circonspects.

*Numéro spécial Sciences et Avenir : L’Infini

JHM du 12 juillet 2020

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