La préfète, elle en a

Que retiendra la Haute-Marne de cette deuxième semaine de l’année ? Sans doute la même chose qu’en fin d’année précédente. Un appel a davantage de justice sociale, qu’il faudra bien entendre, et une exaspération sourde qui elle n’entend plus rien d’autre que les fausses promesses de la violence ; de la vengeance sociale. On ne s’entend plus. On ne s’écoute même plus.

Et soudain, la nouvelle préfète prend la parole. Dans une salle farcie de cravates et de tailleurs chics, débordants de courbettes et de sourires travaillés venus se montrer et flatter comme l’exigent les convenances sociales, elle s’exprime.

Élodie Degiovanni parle doucement. Elle relève de ces personnes, patrons, managers, enseignants, entraîneurs, ceinture noire 7e dan, qui savent dès les premières minutes de la première heure du premier jour, en quelques mots savamment posés sur le fil du propos, qu’on va progresser ensemble, qu’on va se respecter. Et qu’on ne va pas tricher. Sinon…

Donc, elle prend la parole. Le silence s’impose, comme incrédule. Parce que d’habitude, les vœux, ce n’est pas ça. On ne dit pas ça. Et pas sur ce ton-là. Les invités s’interpellent du regard.

Elle devrait nous flatter, nous rappeler qu’on est beaux et gentils ; or elle nous parle de l’État de droit. On s’attend à des souhaits convenus de bonne santé et elle nous sert des «désaccords raisonnés, respectueux, jamais insurmontables, jamais irréparables et toujours féconds à la fin». Et elle le dit bien, comme si c’était elle qui l’avait écrit.

D’ailleurs, c’est elle.

Et c’est fichtrement bien tourné. Non seulement ça n’a rien à voir avec un discours de préfet de début de séjour, mais c’est à la fois brillant (elle convie Voltaire – le régional de l’étape – mais aussi Molière, La Boetie, Bergson) et juste, voire émouvant. Elle continue, d’un timbre égal. Mais là, plus personne ne pipe mot. On écoute. La fraternité comme état d’esprit, on n’a pas l’habitude ; ce qu’est être français, on a oublié. D’un ton égal, avec des mots de tous les jours, elle fustige l’intolérance et l’ignorance et nous rappelle le sens de nos institutions. Il y a bien quelques raclements de gorges, au fond de la salle, mais ça reste au fond, de la gorge et de la salle.

Parvenu là dans le récit que j’avais envisagé drolatique de cette cérémonie de vœux,
chers lecteurs, Mesdames et Messieurs, en vos divers grades, fonctions et qualités, je vous risque un aveu : la nouvelle préfète, elle en a.

Elle en a, des lettres, elle en a des idées. Elle en a, des valeurs. Je crois même qu’en nous parlant comme elle nous a parlé, elle nous a respectés.

Elle nous a tout de même souhaité quelque chose, à nous tous, les Haut-Marnais de tous les ronds points des villes et des champs : «de tout faire pour que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire». C’est exactement ce que modestement, le plumitif laborieux astreint à chronique essaie, en vain, d’expliquer ici depuis des années. Et elle, qui nous connaît à peine, nous a déjà compris ; nous a tout dit. Alors ? Justement : on en fait quoi ?

(JHM du 13 janvier 2019)

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